RÉCIT de l'interpellation du Conseil de police de la zone Midi, le lundi 22 mai 2023.
Lundi 22 mai 2023
Nous voilà de retour devant la Maison communale de Saint-Gilles. Après cinq ans de lutte contre les violences policières sur le territoire de la commune, six interpellations citoyennes, d’innombrables rencontres, débats, rassemblements, jusqu’au démantèlement de la brigade UNEUS, nous sommes donc de retour.
Cette fois-ci, pas d’interpellation citoyenne du conseil communal saint-gillois, mais bien une interpellation du conseil de police de la zone Midi, réunissant les communes d’Anderlecht, de Forest et de Saint-Gilles.
Nous sommes présentes aux côtés de la JOC, de la Campagne Stop-Répression, du Comité Anderlechtois contre les violences policières et de nombreux soutiens – une centaine d’hommes, de femmes et d’enfants, venus malgré la grève nationale. Au pied des marches, nous nous retrouvons. C’est un moment d’attente, avant de prendre la parole, avant de pouvoir entrer. Le temps de se saluer, d’échanger, d’être ensemble, entre soutiens, amis, collègues, voisinages, solidaires.
Il y a des soutiens des premières heures, d’autres qui nous ont rejoints au fil des années, des habitants et habitantes, travailleurs et travailleuses de Saint-Gilles et des autres communes, des parents venus avec leurs enfants, la sœur et le frère de Sourour, des membres du collectif Rue de la Régence, d’autres victimes de violences policières non organisées en collectif, des mamans venues de Peterbos, la Ligue des droits humains, des journalistes, des policiers en civil, postés à l’écart, qui nous observent.
Nous sommes là pour crier Stop à l’impunité. Pour exiger des réponses, à la suite de nombreux témoignages d’agents de police relatés dans la presse autour de la mort d’Adil. Ces témoignages, réunis dans un rapport administratif, font part des propos racistes du policier ayant causé la mort du jeune Anderlechtois, et qui, depuis, s’en vantait: “j’en ai sorti un de la rue”. Selon ce même rapport, le policier se vantait aussi d’avoir déjà tué, auparavant. Ce qui s’apparente à de l’incitation au meurtre.
Averti de ces faits, le chef de corps a pour réponse un entretien de recadrage. Quelques mois plus tard, le policier sera promu. Aujourd’hui, il exerce toujours ses fonctions.
Rappelons-le ici : en 2023, lutter contre l’impunité en Belgique, c’est lutter contre le fait que la police belge peut tutoyer, harceler, insulter, frapper, mettre à nu des jeunes et des adultes, pour la plupart noirs et arabes, en dehors de tout cadre légal, jusqu’à les tuer, s’en vanter, échapper à toute sanction et être promu.
Sur les marches de la Maison communale, nous scandons les noms des morts aux mains de la police qui résonnent jusqu’aux fenêtres de la salle du conseil au premier étage, d’où nous regardent quelques élus.
Justice pour Adil, c’est, dans un même mouvement, Justice pour Sourour, pour Wassim, pour Sabrina, pour Mehdi, pour Mawda, pour Lamine, pour Ilyes, pour Ibrahima, et pour tous les autres.
Puis, nous rentrons. Sur les marches, dans les couloirs de la Maison communale, des policiers en civil postés ostensiblement, bras croisés, nous fixant du regard.
Messieurs et Madame les Bourgmestres de nos trois communes, Saint-Gilles, Forest et Anderlecht, vous qui étiez déjà en haut, dans la salle, venez monter les marches avec nous, la fois prochaine, et voyez ce que cela donne. C’est quelque chose de glaçant.
Dans la salle du conseil, la séance a commencé. On s’installe, il manque de chaises, beaucoup s’assoient au sol ou restent debout, certains se lèvent pour laisser leur place aux personnes les plus âgées, fatiguées. Nous écoutons les prises de parole des membres du conseil. Ils et elles, tous partis confondus, rappellent les faits, posent des questions, incisives. Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment le policier a-t-il pu être promu ? Comment le chef de corps a-t-il pu, dans la presse, simplement qualifier ces paroles de
« beauf », un autre responsable, de remarques « d’un autre temps » ? En quels temps était-ce admissible de se vanter d’avoir tué un Arabe ? En quoi est-ce « beauf » ? Ne serait-il pas temps de reconnaître qu’il ne s’agit pas là d’un cas individuel, que le racisme traverse l’institution policière dans son ensemble, qu’il devient urgent d’apporter une réponse structurelle pour mettre fin à l’impunité ? Et puis de saluer le courage des nombreux policiers et policières ayant osé témoigner.
Est-ce le fait que les trois communes soient présentes dans la salle, qui rend la parole des conseillers et conseillères plus libre? La gravité des faits, les témoignages d’agents de police qui, on le sait, pèsent plus lourd, en justice, que les nôtres ?
Par moments, la salle applaudit. Pour manifester son soutien, à défaut d’avoir la parole.
Les bourgmestres, de leur côté, se taisent.
On nous annonce que les discussions sur le personnel auront lieu à huis-clos.
Une discussion sur le personnel? Un agent de police s’est vanté d’avoir tué un jeune Arabe, a été promu en connaissance de cause, et nos Bourgmestres considèrent que c’est une affaire de gestion de ressources humaines?
C’est le MR (!) qui insistera, à deux reprises, pour que soit prononcée une parole politique. Mais rien. Pas un mot.
Ou plutôt, la parole est au chef de corps.
Il commence par dire qu’il est “nécessaire” d’apporter des réponses aux questions posées.
Qu’il va le faire “avec nuance et sérénité”.
Que pour commencer “il fait confiance à la justice”.
Que les faits se sont déroulés dans un “contexte délétère” au sein de l’équipe de la zone, que le policier en question occupait un “poste d’encadrement”, que les “allégations relayées” de racisme et de sexisme avaient exigé des “mesures nécessaires pour amener du calme et de la sérénité dans le groupe”.
On y revient: cette tragédie est réduite à une banale question de gestion de ressources humaines.
Qu’il a convoqué, à l’époque le-dit agent et que “les allégations ont cessé après”.
Problème de personnel réglé.
Que, enfin, “le collègue a poursuivi sa carrière à la satisfaction de sa hiérarchie”.
Sidération.
Pas juste dans la salle, mais aussi parmi les membres du Conseil.
Mais le chef de corps ne s’arrête pas là: la sortie dans la presse aurait eu pour conséquence de “raviver les tensions dans la zone”. C’est la faute à la liberté de la presse, à la liberté d’expression, au courage des lanceurs et lanceuses d’alerte.
Au plus tard, ici, on se serait attendu à un sursaut des Bourgmestres.
SILENCE.
Et il poursuit: il demande justice pour Adil et justice pour le policier et “réfute catégoriquement l’accusation de racisme endémique” dans l’institution policière. Pas de plaintes, pas de quoi s’indigner. Ceux et celles qui attendent encore une forme de reconnaissance, de réparation n’ont qu’à ravaler leurs larmes.
Tout le monde sait que porter plainte contre la police relève du parcours du combattant et que la plainte se retourne souvent contre la victime.
“Parce qu’il n’y a pas de justice!” crie quelqu’un dans l’assemblée.
Un père de famille se lève, avec sa fille: “Ca fait quatre générations ! Ca fait quatre générations et on a encore peur pour nos enfants!”. Des madrés abondent, la salle tremble. La mémoire de ces quatre générations résonne. Parce que nous connaissons toutes des personnes ayant subi des violences policières. Parce que la liste des morts s’allonge. Et la question de la mémoire déborde celle de la peur de la police : « Nous n’en pouvons plus d’avoir peur de sortir de chez nous, de laisser sortir nos enfants ». C’est vouloir enfin pouvoir se sentir appartenir à la société, se sentir chez soi comme tout le monde. Elle dit la gravité d’un système qui invisibilise, qui se tait. Parce que, oui, le silence tue.
Les bourgmestres? Silence.
Si ce n’est cette phrase: “les questions de personnel seront traitées à huis-clos”.
Merci, au revoir.
Nous nous levons et quittons la salle, en scandant “Police partout, justice nulle part”.
Dehors, nous nous attardons en petits groupes, sous les yeux des policiers en civils qui nous ont suivis, nous observant de loin.
Le rassemblement se prolonge autrement, en prenant le temps d’être les uns, les unes avec les autres, d’échanger quelques mots, une poignée de mains, un numéro, retrouver le sourire, l’envie et la force de revenir, de se retrouver, de ramener du monde. Parce qu’il faudra revenir. Et nous reviendrons.
RDV le lundi 19 juin à 18h30 à la Maison communale de Saint-Gilles pour la prochaine interpellation du conseil de police.
Et, deux jours avant, ce vendredi 16 juin à 18h30, place du Conseil à Anderlecht, pour un rassemblement des habitants en mémoire d’Adil, une manifestation qui se veut familiale et pacifique.
Soyons innombrables.